L’amélioration progressive et considérable de la santé et
de la sécurité au travail en Europe est un fait incontestable.
La réduction des accidents de travail mortels ou
très graves, la diminution des maladies professionnelles
ou encore l’allongement de l’espérance de vie de chacun
sont autant d’exemples qui en témoignent. Pourtant,
depuis 1998, l’Agence européenne pour la sécurité et la
santé au travail tire la sonnette d’alarme. Stress et burnout
seraient responsables d’un absentéisme croissant
dans les entreprises et, plus dramatiquement, la cause
de nombreux suicides. On assisterait donc aujourd’hui à un déplacement des risques professionnels vers un
domaine complexe, rendant leur prévention beaucoup
plus difficile. De multiples agents « stresseurs », d’origine
tant physique que psychologique ou organisationnelle,
sont évoqués pour expliquer les phénomènes.
Malgré la complexité, il semble possible de quantifier
le phénomène de stress grâce à une méthode opérationnelle
de diagnostic des risques psycho-sociaux : la
méthode WOCCQ.


Le diagnostic des risques psychosociaux à l’agenda des entreprises
La recherche sur le stress dans le monde professionnel
est caractérisée par sa multidisciplinarité. L’approche
psychologique du phénomène est actuellement privilégiée.
Elle conçoit le stress comme un processus évoluant dans le temps. C’est l’interprétation particulière
que l’individu a de la situation qui peut déclencher
un stress, et non seulement l’agent « stresseur ». Cette approche tient donc à la fois compte
des différences interindividuelles et de la dimension
interactive entre l’individu et son environnement.
D’après l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, le stress survient lorsqu’il y a déséquilibre
entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui imposent son environnement et la
perception qu’elle a de ses propres ressources pour
y faire face. Le modèle transactionnel du stress professionnel
de Cooper (figure 1) illustre le déséquilibre possible entre contraintes et ressources, origine du
stress professionnel.
La prévention du stress dans l’entreprise s’inscrit dans
la démarche globale de prévention des risques professionnels.
C’est dans le cadre de l’évaluation des
risques et de la rédaction du document unique qu’il
s’agira pour l’entreprise de cerner et d’évaluer l’importance
du problème « stress » et de préciser, s’il y a
lieu, les principaux facteurs en cause. ette évaluation
du stress au travail au sein d’une entreprise repose sur
une démarche structurée qui aboutit à des mesures de
prévention.
Trois niveaux de prévention peuvent être distingués :
la prévention primaire (c’est-à-dire en rapport avec les
sources potentielles de stress), la prévention secondaire
(qui consiste à enseigner la maîtrise de stress) et
la prévention tertiaire (dont l’objectif est de proposer
aux salariés déjà touchés par le stress, des programmes
d’assistance et de conseil). D’une façon générale, il est
plus facile et moins perturbant d’agir sur les individus
(prévention tertiaire) que de lancer un programme de
développement organisationnel (prévention primaire).
Par rapport au nombre considérable d’interventions au
niveau secondaire et tertiaire, les stratégies préventives
primaires, ou organisationnelles, suscitent nettement
moins d’enthousiasme et sont relativement rares. Or,
seule une démarche préventive primaire, visant à éviter l’apparition de situations de travail stressantes, constitue
une solution durable. Les praticiens de l’intervention, souvent des conseillers, des psychologues cliniciens ou
médecins se sentent, en effet bien plus à l’aise dans des actions de type individuel. Bien menée, l’approche
primaire est cependant, par définition, la seule garante d’une efficacité maximale de la réduction du stress
mais les interventions sont souvent lourdes, difficiles à mener, et exigent une volonté politique de changement
dans l’organisation qui n’est pas toujours présente.

La méthode WOCCQ, quelques repères
théoriques et méthodologiques
La méthode WOCCQ (Working Conditions and Control
Questionnaire) a été développée par le service de psychologie
du travail et des entreprises de l’université de
Liège en Belgique. C’est une méthode de diagnostic
du stress et des facteurs de stress qui a été validée
scientifiquement.
Partant d’un point de vue théorique sur le contrôle, le
WOCCQ a été élaboré sur la base d’une littérature qui
conçoit la relation entre les exigences et les aptitudes
comme fondamentale dans le processus de stress et
qui reconnaît, dans le modèle transactionnel du stress
(cf. figure 1), le caractère subjectif du phénomène.
Le stress est ainsi une réponse du travailleur devant
les exigences de la situation pour lesquelles il doute
de disposer des ressources nécessaires et auxquelles
il estime devoir faire face. C’est donc un phénomène
subjectif, qui est lié au sentiment de (non-)contrôle de
l’environnement de travail par le salarié.
L’approche se situe dans une perspective d’intervention
primaire favorisant une approche ergonomique et/ou
organisationnelle. L’objectif du WOCCQ est pratique
dans la mesure où le diagnostic doit fournir toutes les
informations nécessaires pour identifier des groupes
de salariés à risques au sein d’une entreprise et déterminer
les agents stresseurs dans la perspective d’une
démarche organisationnelle de gestion du stress.
La méthodologie WOCCQ se fonde sur la mesure du
stress et de la stimulation. Le stress professionnel est
une réponse du travailleur provoquée par un sentiment
de déséquilibre entre les exigences d’une situation
de travail et les ressources dont il dispose pour faire face à ces exigences. La stimulation au travail est une
réponse du travailleur face à une situation où il se sent
soutenu et motivé. Les conditions de travail sont des
facteurs de risque de stress et des facteurs de stimulation.
Le stress et la stimulation sont liés au sentiment
de contrôle sur les conditions de travail. Ces conditions
sont résumées dans six catégories : ressources, avenir,
exigences contradictoires, risques, planification et
contraintes temporelles (tableau 1).

Deux questionnaires permettent d’évaluer d’une part le
niveau de risque en termes de stress et de stimulation
au travail (le questionnaire SPPN, « Stress professionnel
positif et négatif ») et d’autre part, les facteurs de
risque en termes de contrôle sur les six dimensions de
l’environnement de travail (le questionnaire WOCCQ).
Ces deux questionnaires sont « standardisés » : des
normes, calculées sur plusieurs milliers de salariés d’entreprises
de tailles et de secteurs différents, permettent
de situer rapidement les résultats obtenus. Un troisième
questionnaire (le relevé des situations à problèmes) permet
de récolter des données qualitatives, spécifiques au
milieu étudié, sur les situations stressantes. Le questionnaire
de mesure de stress SPPN est composé de 19 questions
(tableau 2), le questionnaire de la mesure du
contrôle des conditions de travail WOCCQ est composé de 80 questions (tableau 3). Le relevé des situationsà problèmes est en récit libre. Une fiche socioprofessionnelle
permet de définir les segments (et d’identifier les
groupes à risque ultérieurement). Le format de réponse
aux deux premiers questionnaires est : 1, jamais, rarement
; 2, de temps en temps ; 3, régulièrement ; 4, toujours
ou presque toujours.
L’ingénierie de la méthode :
la WOCCQ Tool
La WOCCQ Tool est une application sous Excel qui
permet ensuite d’encoder les questionnaires, de faire
le travail statistique, d’analyser les résultats (tableau 4)
et de produire et d’exporter des graphiques (figure 2).
Les résultats de la méthode permettent de repérer les
groupes ou les segments de personnels à risque, d’identifier
les causes de ces risques et de cibler les mesures
de prévention. La WOCCQ Tool permet également de
comparer les résultats avec une base de données pour
se situer par rapport à d’autres entreprises ou secteurs.
Toutes les données récoltées par les licenciés WOCCQ
sont introduites dans une base de données. Des scores
de référence sont disponibles et il est ainsi possible de
se comparer à d’autres entreprises d’un même secteur. L’intérêt du WOCCQ réside notamment dans l’outil qui
permet de faire le travail statistique et d’amorcer le travail d’analyse. La figure 2 illustre les six dimensions
en comparaison avec les autres entreprises du même secteur d’activité. Il en ressort par exemple que comparativement
les dimensions Gestion du temps et Avenir sont moins bonnes dans cette structure par rapport à
l’ensemble du secteur.
Le tableau 4 présente un extrait de la WOCCQ Tool
pour un segment du personnel et pour une dimension :
les contraintes temporelles. Ceci permet de cibler plus
précisément les causes organisationnelles (en rouge et
en rouge gras dans le tableau) d’un état de stress dans
un segment du personnel.

Il est à signaler que la méthode WOCCQ est plutôt destinée
aux grandes structures. Afin de garantir la validité
statistique des résultats, au moins 150 questionnaires
doivent être renseignés. Ceci implique que le WOCCQ
s’adresse aux entreprises d’au moins 200 personnes.
Pour les organisations de taille réduite, d’autres solutions
doivent être envisagées.
Mettre en oeuvre
la démarche WOCCQ en entreprise
Tout diagnostic n’est qu’une phase, certes importante,
d’un processus plus général d’intervention. L’implication
et le soutien de tous les acteurs de l’entreprise sont des gages de réussite. Par ailleurs, chaque entreprise est un
milieu particulier avec ses spécificités, sa culture et ses
contraintes propres. Aussi, il est essentiel d’adapter au
maximum la méthodologie d’enquête au milieu étudié
et d’initier une démarche participative, en vue de récolter
un maximum de réponses et d’obtenir un consensus
le plus large possible sur les résultats. Le passage
du diagnostic à l’intervention ne peut que s’en trouver
facilité. C’est pourquoi un comité de pilotage doit être
créé lors de chaque enquête. Ses membres sont porteurs
du projet au sein de l’entreprise et aident la personne
responsable de l’enquête à plusieurs niveaux : choix des variables indépendantes et des modalités
d’envoi et de retour des questionnaires, information du personnel, éclairage sur les résultats. Le déroulement de la méthode se présente sous plusieurs étapes (étalées
dans cet exemple sur une période de deux ans) qui
sont présentées dans le tableau 5.

L’utilisation du WOCCQ est soumise à la signature
d’une licence d’utilisation, par laquelle les licenciés
s’engagent à respecter certains principes déontologiques
et méthodologiques, à verser des droits
d’utilisation de 1,15 € par personne et à renvoyer les
données brutes récoltées afin d’alimenter la base de
données.
Dans un prochain article de RSE, une étude comparative
entre le WOCCQ ainsi que le Karasek et le GHQ12
(le General Health Questionary, un questionnaire international étalonné et validé, dans sa version française
et composé de 12 items), sera présentée. Elle porte sur
le secteur sanitaire et social. Entre 500 et 900 questionnaires
sont attendus. Les apports spécifiques des
différents outils seront étudiés et les principaux enseignements
de l’étude seront très largement discutés.
Wim Van Wassenhove et Franck Guarnieri,
Mines ParisTech
Pour aller plus loin
De Keyser, V., et Hansez, I. (1996). Vers une perspective transactionnelle du stress au travail : Pistes
d’évaluations méthodologiques. Cahiers de médecine du travail, 33(3), 133-144.
Hansez, I. (2001). La validation du WOCCQ : vers un modèle transactionnel du stress et du contrôle de
l’activité de travail, thèse de doctoral, Université de Liège, Liège, Belgique.
Hansez, I., et De Keyser, V. (2002). Du diagnostic des risques psycho-sociaux à la gestion organisationnelle
du stress. In M. Neboit et M. Vezina, Santé au travail et santé psychique (pp. 189-206). Toulouse,
France : Octarès. Collection Travail et Activité Humaine.
http://www.woccq.be
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